par Humeyra Pamuk
L'administration américaine a chargé ses diplomates postés en Europe de lancer une campagne de lobbying pour former une opposition aux réglementations sur les services numériques de l'Union européenne (UE), montre un câble diplomatique consulté par Reuters.
Dans le document daté du 4 août et signé par le secrétaire d'État Marco Rubio, le département d'État accuse l'UE de chercher à restreindre "indûment" la liberté d'expression en luttant contre les discours haineux, la désinformation et la mésinformation, et sa loi sur les services numériques renforce encore ces restrictions.
La loi sur les services numériques de l'UE, Digital Services Act (DSA) en anglais, vise à rendre l'environnement en ligne plus sûr et plus équitable pour les utilisateurs, en obligeant les géants de la technologie à faire davantage pour lutter contre les contenus illégaux, notamment les discours haineux et les contenus pédopornographiques.
Donald Trump a fait de la lutte contre la censure - en particulier ce qu'il considère comme l'étouffement des voix conservatrices en ligne - un thème majeur de son administration.
De hauts responsables américains, dont le vice-président JD Vance, ont accusé les responsables européens et leurs réglementations de "censurer" les Américains. L'UE européenne rejette cette accusation.
La note diplomatique, dont le titre la décrit comme une "demande d'action", charge les diplomates américains en Europe d'entrer régulièrement en contact avec les gouvernements des pays membres de l'UE et les autorités chargées des services numériques pour leur faire part des préoccupations américaines concernant la loi sur les services numériques et son impact financiers pour les entreprises américaines.
Les missions diplomatiques "devraient concentrer leurs efforts sur le soutien du gouvernement hôte et des autres parties prenantes afin d'abroger et/ou d'amender la DSA ou les lois européennes ou nationales connexes qui restreignent l'expression en ligne", indique le câble dans sa section "objectif".
La note fournit des suggestions spécifiques aux diplomates américains sur la manière dont la loi peut être modifiée et des points de discussion pour les aider à présenter cet argument.
Le département d'État américain n'a pas fait de commentaire dans le cadre de cet article.
Le bureau d'Henna Virkkunen, responsable de la Souveraineté technologique au sein de l'UE, n'a pas répondu à une demande de commentaire dans l'immédiat.
En mars, les responsables européens de la concurrence et de la technologie ont déclaré aux députés américains que la nouvelle règle technologique visait à maintenir l'ouverture des marchés numériques et ne visait pas les entreprises américaines de la "tech".
La Commission européenne a également réfuté en mars les rumeurs selon lesquelles la législation européenne sur le numérique pourrait être inclue dans les négociations commerciales avec les États-Unis.
"Notre législation ne sera pas modifiée. La DMA (Digital Markets Act, la législation européenne sur les marchés numériques, Ndlr) et la DSA ne sont pas sur la table des négociations commerciales avec les États-Unis", a déclaré Thomas Regnier, porte-parole de la Commission, lors d'une conférence de presse.
POUR LA "LIBERTÉ D'EXPRESSION"
L'ordre adressé aux diplomates américains signale une accélération des efforts de l'administration de Donald Trump pour promouvoir ce qu'elle appelle "la tradition américaine de liberté d'expression".
Cette politique a été mise en lumière en février, lorsque JD Vance a stupéfié les dirigeants européens en les accusant - lors d'une conférence habituellement connue pour ses manifestations d'unité transatlantique - de censurer le discours de groupes tels que le parti d'extrême droite allemand AfD (Alternative pour l'Allemagne) et de reculer sur le plan démocratique.
Donald Trump et ses alliés républicains ont accusé à plusieurs reprises l'administration de son prédécesseur démocrate Joe Biden d'encourager la suppression de la liberté d'expression sur les plateformes en ligne. Ces allégations se sont concentrées sur les efforts visant à endiguer les fausses informations concernant les vaccins et les élections.
La Cour suprême des États-Unis a statué l'année dernière que les contacts de l'administration Biden avec les réseaux sociaux ne violaient pas les protections du premier amendement de la Constitution des États-Unis en matière de liberté d'expression.
La directive du département d'État consultée par Reuters ordonne aux diplomates américains d'enquêter sur toute accusation de censure, décrite comme "tout effort du gouvernement pour supprimer des formes d'expression protégées ou contraindre des entreprises privées à faire de même".
Selon la note, la priorité doit être donnée à tout incident ayant un impact sur les citoyens et les entreprises des États-Unis. Il s'agit par exemple d'arrestations, de procès, de saisies de biens et de suspensions en ligne.
Les missions diplomatiques "devraient rencontrer les représentants du gouvernement, les entreprises, la société civile et les personnes concernées pour rendre compte des cas de censure, y compris, mais sans s'y limiter, ceux qui sont liés à la DSA", précise le câble.
En mars, le président de la Commission fédérale des communications (FCC) des États-Unis a spécifiquement critiqué la DSA, affirmant qu'elle n'était pas compatible avec la tradition de liberté d'expression des États-Unis.
En mai, Marco Rubio menaçait d'interdire de visa les personnes qui "censurent" des Américains, notamment sur les réseaux sociaux, et a laissé entendre que cette mesure pourrait viser les fonctionnaires étrangers qui réglementent les entreprises technologiques américaines.
Des entreprises technologiques américaines telles que Facebook et la société mère d'Instagram, Meta META.O , se sont également exprimées, affirmant que la loi européenne sur les services numériques équivaut à une censure de leurs plateformes.
Les dirigeants de ces entreprises américaines sont par ailleurs proches de l'administration Trump.
Le directeur général de Tesla, Elon Musk, qui possède également le réseau social X, était l'un des principaux conseillers du président américain avant que les deux ne se brouillent.
Les patrons d'Amazon AMZN.O , de Meta et d'Alphabet
GOOGL.O , propriétaire de Google, ont occupé des places de choix lors de la cérémonie d'investiture de Donald Trump en janvier.
(Reportage Humeyra Pamuk ; version française Etienne Breban ; édité par)
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